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Occuper un théâtre, d’accord. Mais pour qui, comment et pourquoi ? Quel sens y a-t-il à s’enfermer entre quatre murs, cogiter en circuit fermé sur soi et la société ou phosphorer en petit comité sur les dysfonctionnements du présent ?
En 2016, l’acteur Sacha Ribeiro investit avec des camarades le Théâtre des Célestins, à Lyon. La culture (et pas qu’elle) est alors vent debout contre la loi El Khomri, qui veut assouplir certaines dispositions du code du travail, notamment sur le temps de travail, et renforcer le recours à la négociation collective. Partout en France, des manifestations, partout des squats improvisés. Les citadelles institutionnelles sont assiégées. Rien n’y fait. La loi est votée.
Cette expérience marque le jeune homme. Il se souvient d’aventures similaires : occupation en Mai 68 du Théâtre de l’Odéon, à Paris ; en 2013, du Théâtre de la Place, à Liège (Belgique), pour éviter sa destruction ; de 2014 à 2017, du Teatro Valle, à Rome, promis à la privatisation ; en 2017, de la Volksbühne, théâtre de l’Est berlinois, par un collectif désireux de transformer l’endroit en scène autogérée avec accès gratuit du public. Vaincus ou vainqueurs, ces locataires clandestins qui ont pris l’institution en otage ne l’ont pas fait pour rien. Le temps qu’ont duré leurs sièges, une vie s’est esquissée qui redonnait des couleurs à la citoyenneté, la solidarité, l’hospitalité, la démocratie.
Occuper un théâtre puis en être expulsé. Déserter la salle, renvoyer le public à son chagrin devant la scène vide. Sur un écran vidéo, des comédiens s’éloignent à pas lents. Emperruqués, costumés, fardés, ils traversent la place du Palais des papes, longent le pont d’Avignon, se perdent dans les champs. C’est fou comme nous bouleversent ces saltimbanques perdus dans la nature.
Avec Œuvrer son cri, récit de l’occupation fictive du Théâtre des Carmes à Avignon, Sacha Ribeiro, metteur en scène, ne voulait pas créer « un spectacle sur les artistes pour les artistes ». Bien au-delà d’un entre-soi, le texte, issu d’une écriture collective, déplie une réflexion enthousiasmante sur le vivre-ensemble, poncif qui retrouve, ce faisant et dans la foulée, ses lettres de noblesse.
L’aventure démarre donc à la porte d’un lieu cher aux Avignonnais. C’est aux Carmes qu’en 1963 le metteur en scène André Benedetto (1934-2009) signait l’acte fondateur du Festival « off ». La troupe n’investit pas seulement des murs, elle prend d’assaut un symbole. On la regarde, sur l’écran vidéo, fomenter son projet et puis le mettre à exécution, traverser la ville en catimini, fracturer la porte et s’introduire dans la salle, des lampes torches sur la tête.
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